Par Geneviève Beaupré.
C’est parfois comme si tout cela n’avait été qu’un rêve. Un rêve… que dis-je… un cauchemar. Mais en même temps le plus doux des rêves. Le temps a passé, et il s’en est passé du temps depuis mes doigts glissant doucement sur ton visage. Un moment gravé dans ma mémoire qui refait souvent surface, comme un bonjour ou un clin d’œil. Un moment où je me plonge chaque soir où je ferme les yeux, à la fin d’une douce journée pour te dire « Bonne nuit, mon bel amour! Je t’aime et tu me manques. »
Ton cœur ne battait plus depuis un bon moment déjà, laissant tes poumons vides d’air… de cet air que ceux-ci n’ont jamais pu respirer. Mon cœur était lourd et je croyais que j’allais vivre le pire moment de toute ma vie. Cette rencontre allait être bien différente de celle que j’avais imaginé. Comment est-ce possible de penser rencontrer pour la première fois son enfant alors que la mort a envahi son corps? Comme un parent pourrait imaginer cela? La nervosité, l’appréhension, comme une rencontre qu’on ne peut manquer si on veut faire bonne impression. Je n’aurais pas d’autres chances, les occasions ne seront pas multiples, c’était moi, toi et ton père pour le temps qu’on nous laissera. L’infirmière est entrée presque sans faire de bruit avec ton petit être dans les bras. Enlacée dans ceux de ton père, j’étais impatiente de te voir, de te sentir, de te dire tout ce que je pouvais dans les quelques secondes comptées que j’avais. Lorsque tu as atteint mes bras, j’ai glissé les doigts sur ton visage. J’ai presque fait le saut, car il était froid. Ta blancheur aurait dû me l’annoncer, mais j’ai alors compris que même si tu semblais dormir, le sang ne circulait plus dans tes veines. Cette froideur était mon contact avec la réalité, elle me rappelait que jamais nous ne vivrions l’avenir que j’avais imaginé. Je me suis alors arrêtée pour te regarder, comme on observe une œuvre qu’on ne reverra plus. J’ai analysé chacune de tes coutures pour réaliser qu’au final, tu étais parfait, tu étais beau, tu étais mon bébé à moi. « Je t’aime… je suis tellement désolée… je suis tellement désolée. » Presque comme un soupir sur un disque qui saute, je t’ai répété ces phrases sans fin. Ça m’a frappé presque d’un coup, m’envahissant et se mélangeant à l’intérieur de moi. Je t’aimais plus que je le croyais, et j’avais mal, mal que tu sois tombée sur moi, que ce soit moi ta maman, que tu ne me survives pas, que tu sois mort, car tu étais en moi. Je t’ai serré, embrassé et serré encore. J’avais une vie complète de câlins, d’amour et de bisous à te donner. Je devais tout te donner maintenant, car lorsque ton corps allait me quitter, plus jamais je n’aurai de contact avec toi. Ce n’est pas une urgence de vivre, c’est une urgence d’amour. Un lot indéfini à laisser sortir pour que tu puisses le prendre avec toi. C’est grâce à une infirmière que j’ai pris une photo de toi qui me suit encore aujourd’hui. Une seule photo, une seule image de toi. Et c’est lorsque tu as quitté la pièce que mes pieds ont quitté le sol… me laissant dans mon monde parallèle où tu n’étais pas et, pourtant, où ta présence était partout.
La peine a été lourde, si lourde qu’elle m’empêchait de respirer, de regarder la vie autour de moi, de vivre la moindre émotion. Cette peine était d’une douleur inestimable, une douleur dont on ne m’avait jamais parlé, une douleur si vive qu’on ne peut la vivre. Une douleur d’amour, de tendresse sans bras, l’immensité d’une peine face à mon bébé qui n’était plus, face à un avenir qui n’existait pas et un passé qui me brûlait le ventre. Et je me sentais si mal… en fait « me sentir mal » n’est pas assez pour expliquer l’état dans lequel j’étais. Je me sentais coupable d’une vie au complet. Coupable de ne pas avoir su, de ne pas avoir senti, de ne pas avoir vu. Je me sentais coupable de continuer à vivre, de recommencer à rire, d’aimer à nouveau. Coupable que la mort t’ait arraché à moi. J’aurais été une bonne maman mon amour, saches-le, j’aurais tout donné pour toi. Et pourtant, j’avais ce sentiment d’échec qu’on ne peut expliquer.
Après toutes ces années, cette douleur vive a quitté mon corps, a délaissé mon cœur et laissé toute la place à la peine. Le sentiment de culpabilité, toujours présent, se promène sans remplir ma vie et la vision que j’en ai. Je ne ressens plus cette déchirure à l’intérieur, mais mon cœur reste entouré de ce filet de peine qui te revient. Une peine presque douce maintenant, car elle me rappelle que tu as été là, que tu as existé, que je t’ai aimé au premier moment et que je t’aime toujours autant. Une peine avec laquelle j’irai te rejoindre un jour, un jour lointain j’espère, pour te bercer une dernière fois dans mes bras. Je sais qu’elle restera en moi, non pas comme un boulet que je traîne derrière moi, mais plutôt en lui donnant la main pour qu’elle me suive à travers mes pas.
Tu es et seras à jamais mon premier enfant, mon premier vrai grand amour, celui qui aura fait de moi une maman. Tu resteras mon premier bedon rond, celui à qui je parlais tout le temps, ma grossesse innocente et remplie de bonheur. Tu seras éternellement mes premiers petits coups de pied, mon premier contact avec une vie qui n’est pas la mienne. Ma famille commencera toujours par toi. Il y a eu ton père et moi, de jeunes amoureux remplis de confiance face à la vie, et il y a eu toi. Nous sommes devenus un tout, un tout avec un espace vide à l’intérieur, un manque à gagner, un creux qui ne se remplira jamais. J’aurais cru qu’une reconstruction me serait impossible, que je ne pourrais plus goûter au bonheur, vivre une vie simple. Puis le temps a passé.
Aujourd’hui, contrairement à tout ce que j’aurais pu penser, ton souvenir m’est doux. Ma rencontre avec toi est ce que j’appelle le moment le plus intense et le plus beau de toute ma vie. Lorsque je prends une grande respiration, j’ai presque l’impression de te sentir près de moi, mais en fait c’est l’amour que j’ai pour toi qui m’envahit tout simplement. Ma famille est complète, heureuse et baigne dans le bonheur. J’aurai toujours une famille de trois moins un. Je présenterai toujours mes deux enfants, mais chaque fois ton nom traversera mon esprit. Lorsque la fameuse question se pose « Combien d’enfants avez-vous? », je répondrai « deux qui m’attendent à la maison ». On me demandera pourquoi j’ai un « L » dans le cou, « pour mon premier garçon, il n’a pas survécu à la grossesse ». C’est la phrase la plus douce que j’ai trouvée pour expliquer ton court et si intense passage dans ma vie. Lorsque je regarde mes deux autres enfants, il m’arrive si souvent de penser à toi. Si tu n’avais pas été là, ils n’existeraient pas. J’aurais possiblement eu un autre enfant après toi, mais ce n’aurait pas été eux, ils n’auraient pas la vie qu’ils ont et je n’aurais pas été la maman que je suis. On va se le dire, mon bel amour, tu m’as changée. Il y aura toujours ma vie avant et après toi. La maternité change une femme qu’ils disent, ils n’auront jamais aussi bien dit crois-moi. Ton frère et ta sœur savent que tu as existé, que tu as été mon premier. Ils connaissent en partie l’histoire et en sauront plus s’ils posent des questions, lorsqu’ils seront plus grands, lorsqu’ils comprendront. Ils voient presque chaque jour la petite photo de toi installée fièrement sur le bureau de ma chambre. Cette année, ta sœur m’a demandé de faire un petit quelque chose pour ton anniversaire. J’ai trouvé que c’était une merveilleuse idée. Dix bougies qu’on soufflera ensemble en pensant à toi. Dix douces années d’une vie que je n’aurais jamais pensé vivre. Tu nous as appris que le pire avait été vécu. Tu nous as appris que la vie pouvait être belle dans les petites choses simples. Tu nous as appris, à la dure je dois avouer, que tout peut basculer en un instant et qu’il faut profiter du moment présent. Tu nous as appris qu’aimer était sans limite et sans barrière.
Depuis quelques années mon amour, je vais rencontrer ces parents qui doivent dire un dernier au revoir à leur enfant. J’entre dans leur espace, rencontre leur enfant et prends plusieurs douces photos qu’ils pourront chérir à jamais. Je n’ai qu’une seule photo de toi, je m’étais promis d’en offrir plusieurs au plus de parents possibles et je le fais grâce à toi. Chaque fois je t’envoie un bisou vers le ciel. Je sais ce que ce souvenir sera pour eux, je sais comment ils le chériront.
Merci mon bel amour, merci de faire encore partie de ma vie dans cette douceur et ce bien-être. Un jour ma petite souris, c’est mes cendres mélangées aux tiennes que nous nous retrouverons. D’ici ce temps, comme à chaque année le 14 août, je te glisse doucement « Vole mon amour, mais ne laisse pas le vent t’emporter loin de moi ».
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