Je t’ai aimé à l’instant où j’ai su que tu étais en moi, je me rappelle de tout… de l’immense sentiment de sérénité que j’ai ressenti quand j’ai vu les deux lignes affichant ta présence, de la promesse que je t’ai faite à cet instant: j’allais te donner le meilleur de moi-même, je serais derrière chacun de tes pas, prête à t’aider à te relever si jamais tu ne venais qu’à tomber, que tu trouverais toujours auprès de moi réconfort, amour et sécurité. À partir de ce moment, tu as occupé chacune de mes pensées, tout mon amour, tous mes espoirs. J’avais déjà tellement d’amour pour toi au creux de mon coeur.
J’étais si heureuse, j’avais réussi à te dénicher le meilleur homme possible pour devenir ton papa, j’avais déjà la certitude qu’il te serait doux, dévoué et présent. Si seulement tu avais pu le connaître, tu l’aurais adoré toi aussi c’est certain. Nous avons tous les trois défilé les semaines, tout se passait bien, nous étions heureux. Tu prenais ta place, m’arrondissais et nous commencions à projeter ta venue. La première échographie était parfaite et rendait tout concret. Quelques semaines plus tard, je commençais à te sentir bouger, tu étais si intense que bientôt même ton papa pouvait te sentir virevolter dans tous les sens.
Encore une fois, nous avons vu défiler les semaines sans aucun nuage gris. Nous t’avions trouvé un petit surnom qui, Dieu sait pourquoi, nous faisait bien rire: Jobi Jojo! On l’utilisait à toutes les sauces pour parler de toi, tout le temps! Bientôt est venu le temps de l’écho de 20 semaines, étape stressante, mais tout de même excitante qui devait nous confirmer que tu te développais bien, que tous les morceaux y étaient.
Et puis, dans la noirceur de la salle d’écho, la technicienne s’est faite silencieuse, par la suite, le mutisme de l’échographiste s’est fait encore plus écrasant. Ensuite, je ne sais plus…j’entends ce que nous disent les médecins et en même temps je ne suis plus là …je suis en chute libre dans un long trou noir, cette impression de sortir de soi-même. Ce matin du 14 décembre 2016, nous sommes entrés dans cette salle d’écho et en sommes ressortis brisés.
Nous avons vite compris l’ampleur des préoccupations des médecins simplement en regardant leurs visages. Nous avons enchaîné les suivis, les examens, toutes ces échographies qui s’avéraient, chaque fois, être une épreuve en soi, un peu comme le supplice de la goutte, effritant un peu plus l’espoir qui animait encore nos coeurs. L’espérance a fait place à la fatalité, cette malformation qui prenait place dans ton cervelet te rendrait la vie bien compliquée. Serais-tu seulement capable de t’alimenter par toi-même? Capable de parler? On nous parlait de l’incertitude que tu puisses te tenir assis, la marche sans assistance dans le meilleur des cas te serait sûrement impossible…Tout espoir que tu puisses vivre une véritable vie de petit garçon s’est effondré. Te voir réaliser tes rêves, t’accomplir, t’émanciper et accéder à tout ce que peut offrir le monde te devenait pratiquement inaccessible… dans le bureau de la généticienne, j’ai bien cru que mon coeur allait exploser, j’aurais voulu hurler… je crois bien que si je m’étais laissée aller, je n’aurais pas su m’arrêter.
Ton pronostic était aussi lourd que variable, une chose semblait être certaine, ce corps n’allait jamais être ton allié. Nous voulions te faire cadeau de la vie, pas te condamner à une existence d’handicaps, d’aller-retour à l’hôpital, de dépendance à autrui prisonnier de ton corps. Nous ne pouvions pas nous résoudre à t’abandonner à cette vie mon petit… lorsque j’ai compris que je ne pourrais jamais t’amener jouer au parc, que les enfants qui courent dans la rue, jamais tu n’aurais pu les rattraper, que les petits gestes du quotidien que l’on fait sans réfléchir seraient pour toi des épreuves ou des accomplissements…
J’ai baissé les bras, je ne t’ai pas abandonné mon cœur, mais j’ai renoncé à toi… par amour pour toi.
Aussi contradictoire et contre nature soit-il, ce choix était rempli d’amour, je te l’assure. Il ne s’est pas pris en un jour, il a été difficile. II est le fruit d’une longue réflexion, de semaines d’insomnie où l’on croit devenir fou, le coeur écrasé sous la souffrance, la culpabilité et la colère. J’ai compris maintenant, que notre choix était le seul moyen que nous avions de te protéger d’une vie qui n’en aurait pas été une. J’ai longtemps ressenti beaucoup de colère que tu n’aies pas pu avoir droit toi aussi aux mêmes chances et possibilités que tous les autres petits bébés: être en santé. Quatre semaines entre deux eaux, alternant les sanglots, les espoirs, les angoisses. Quatre semaines où je ne pensais qu’à toi, avec la fixation de répondre à chacun de tes coups de pieds pour que tu ne te sentes pas seul, que tu saches que j’étais avec toi à chaque instant, à chaque seconde. Savoir ce que l’on doit faire est une chose, c’en est une autre que de se lever et de se rendre à l’hôpital sachant que l’on sera séparée de son petit bébé. Je te désirais tellement… j’aurais voulu m’enfuir avec toi en courant, j’aurais eu, l’espace d’un instant, l’impression de te protéger… Allongée sur cette table médicale, ton cœur, et le mien aussi, se sont arrêtés.
Je te l’ai dit, je savais que ton papa serait toujours présent pour toi et il l’a été chaque instant. Ce texte parle au « je » mais cette histoire est aussi la sienne, il l’a vécu aussi intensément que moi, car il t’aimait tout autant. Je doute fort qu’il sache et réalise à quel point il m’a été important, même essentiel à ce moment de nos vies, une chance qu’il était là, sans sa force et son soutien, j’aurais perdu le nord plus d’une fois. Je ne crois d’ailleurs pas avoir réussi à ce jour à lui signifier à quel point son amour et même son acharnement à me remonter le moral ont fait toute la différence du monde et je le remercie du fond de mon coeur. J’espère qu’en lisant ce texte il réalisera enfin l’ampleur de son support. Cette épreuve ne nous a pas séparés, au contraire, je n’aurais voulu traverser cet enfer avec personne d’autre que lui.
Avoir à renoncer à toi aura été la plus grande et la plus profonde souffrance que j’ai pu ressentir, je n’aurais même jamais imaginé que mon coeur pouvait faire si mal. T’enlacer, t’embrasser, tenter de te donner tout l’amour d’une vie en quelques instants était si difficile. Les semaines qui ont suivi notre retour à la maison ont été tellement pénibles. J’avais encore tellement d’amour pour toi dont je ne savais plus quoi faire maintenant que j’avais le ventre et les bras vides. Certaines journées bien noires et lourdes, où le poids de la culpabilité, du doute et de la peine me semblaient insupportable, je me suis sincèrement demandé si j’allais survivre à ta perte et j’admets qu’il y a eu quelques jours encore plus sombres où je n’ai pas su trouver de réponse.
Je fais un petit aparté, m’adressant aux parents qui vivent présentement cette épreuve. Je veux vous dire ce que j’aurais voulu qu’on m’assure au cours des pires moments: cette souffrance que vous ressentez maintenant, cette douleur qui brûle comme du feu du réveil au soir, qui vous suit partout, tout le temps. On ne peut même plus s’imaginer qu’elle s’arrêtera un jour… je vous rassure, elle finit par s’estomper, s’alléger… vous verrez dans quelques mois… Évidemment, elle ne disparaîtra jamais, mais un matin sans trop s’en rendre compte, vivre avec devient tolérable, supportable alors qu’on ne l’aurait jamais cru… Courage.
Toute une vie que j’avais imaginée à être à tes côtés. J’aurais tellement aimé connaître l’homme que tu serais devenu, prendre soin de toi, te voir découvrir la vie. Tu me manqueras le reste de mon existence. J’ai lu quelque part « cessez de dire que vous avez perdu votre bébé, il n’est pas perdu, simplement maintenant vous le portez dans votre coeur ». Cette phrase me réconforte. Faire tourner les citrons en limonade… pourquoi pas? Et nous voilà, près d’un an jour pour jour après ton départ petit Jobi, ton papa et moi accueillerons avec tellement de bonheur ton petit frère d’un moment à l’autre. C’est une immense chance que nous vivons et le réalisons pleinement. Cette fois-ci, à l’accouchement, ce ne sera pas le silence, mais des cris de joie qui résonneront! Il est certain que nous aurons aussi une pensée pour toi, comme toujours. Sa présence met un baume sur notre blessure en même temps qu’elle ne te remplace en rien. Nous sommes quatre dans cette famille et tu y as ta place à part entière.
Les photos de toi auront été mon unique centre d’intérêt et de réconfort pendant des semaines. Tu as maintenant un album qui raconte ton histoire unique, ton passage indélébile dans nos vies. Ta perte restera toujours le plus profond chagrin de ma vie mais étrangement, maintenant quand je pense à toi, je souris… en même temps que je pleure.
P.S. Merci à toi ma soeur, je ne peux passer sous silence ton immense dévouement et ton écoute. Ta présence et ton support m’ont été inestimables. Merci
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