Notre histoire commence le 25 novembre 2018.
Je suis alors maman d’un petit garçon de trois mois que ma conjointe a porté et nous apprenons aujourd’hui que l’insémination que nous avons fait a fonctionné. Notre famille allait s’agrandir. Ma grossesse s’est merveilleusement bien déroulée. Aucun saignement, quelques maux de cœur, mais rien de grave d’autant plus qu’en raison de mon métier j’étais en retrait préventif. Je pouvais donc profiter pleinement de cette première grossesse tout en admirant les apprentissages de notre premier enfant. J’avais préféré attendre de voir l’échographie de vingt semaines de grossesse avant de faire la fameuse annonce Facebook. Puisque l’échographie était normale, que bébé bougeait bien et que c’était un deuxième petit garçon, je me suis décidée de faire la grande annonce. Notre fils allait avoir à peine un an quand nous allions accueillir son petit frère. Le temps passait et les rendez-vous médicaux s’enchainaient en même temps que je me préparais à lui faire une chambre unique, douce et accueillante. Toutefois, à partir de la 35e semaine de grossesse, je me présentais environ une fois semaine en maternité pour une douleur à la poitrine, une barre horizontale, mais les tests revenaient tous négatifs…
Mon fils ayant commencé à fréquenter la garderie, il tomba inévitablement malade après trois jours! C’était la première fois qu’il était réellement malade et fiévreux. S’ajoutait à tout cela sa fête d’un an qui était dans quelques jours et nous recevions de la visite pour l’occasion. Le jeudi, les invités arrivent et après une bonne sieste, je pars chez la coiffeuse avec mon fils et la fille de ma belle-sœur. Pendant le trajet, je me flatte machinalement le ventre et elle me demande si je le sens bouger. Je lui réponds que oui, mais une inquiétude se pointe dans ma tête. C’est vrai qu’avec la fièvre de mon grand j’ai été moins à l’écoute et comme pour me rassurer bébé Charles se met à bouger. Je suis rassurée mais pas complètement. Une petite inquiétude reste, mais je me dis que c’est normal, mon grand est malade, l’inquiétude d’une mère c’est fort. Le lendemain soir, on abandonne notre visite à la maison, on annule la fête d’un an et on part consulter à l’urgence tel deux mamans ours remplies d’inquiétude, on connaît notre bébé.
Minuit sonne et nous commençons à lui chantonner bonne fête au beau milieu de la salle d’attente de l’urgence. On venait de vivre notre première otite! On rentra donc à la maison, épuisée. Dernière mission, se battre avec un bambin d’un an pour lui faire boire son antibiotique et le coucher près de nous pour la nuit. Samedi matin, la visite repart, on retrouve notre cocon paisible, notre bulle familiale et on se concentre sur notre coco encore fiévreux. Ce soir-là, samedi 20 juillet 2019, tout le monde dort et moi je fais le bilan dans ma tête. Notre fils a eu un an aujourd’hui et notre deuxième s’apprête à se pointer le bout du nez car je suis en contraction depuis déjà quelques heures. Elles sont légères et irrégulières alors je réussis quand même à dormir. Le lendemain, pendant que l’odeur de café se répand dans la maison, j’explique à ma conjointe mes contractions de la veille et lui mentionne qu’elles sont encore présentes ce matin. Avec elle on ne traine pas, elle me fait donc appeler à la maternité de l’hôpital. Le personnel me recommande de venir les voir. Je laisse donc mon fils à la surveillance de mes parents et je leur dis à tantôt tout bêtement pendant que ma conjointe me suit avec la valise.
Arrivée à l’hôpital, je suis prise en charge par une infirmière d’un certain âge. Elle sort le moniteur et le pose sur mon ventre. Les premiers battements sont les miens et tout de suite elle semble mal à l’aise. Une autre infirmière que je connaissais via mon emploi vient la remplacer. Elle est comme un rayon de soleil, souriante, pétillante, rieuse, elle connaît son métier! Elle essaie de me faire rire et de me rassurer. Pendant ce temps, elle change de machine, visse et dévisse des embouts, les interchange et me parle de tout et de rien. Une seconde infirmière entre dans la pièce et d’un échange de regard elle repart. À ce moment précis, je suis consciente que cela fait environ 20 minutes qu’elle cherche à écouter le cœur de Charles… Je me retourne vers ma conjointe, elle est blanche presque verte même, elle sait! Elle a compris ce qui nous arrive et ce qui s’en vient. Tandis que pour moi, c’était impossible de même concevoir laisser cette idée prendre place dans ma tête, c’est impossible, c’est interdit, mon fils bouge, je le sens.
Les médecins arrivent et installent une échographie portative sur mon ventre, je suis calme puisque cette histoire ne peut pas mal finir, je ne veux pas voir ou comprendre qu’à travers l’écran, mon bébé est immobile et silencieux. Les larmes veulent s’emparer de mes yeux quand la médecin annonce que nous allons nous déplacer vers une autre salle avec la grosse machine d’échographie. Je ravale mon angoisse et je me dis que ça va bien aller, ma conjointe me tient la main si fort en me répétant qu’elle est là et que ça va bien aller. Je suis les médecins et vois mon infirmière sortir de la salle vers laquelle nous marchons et la médecin lui fait non en signe de tête. À cet instant précis, j’ai l’impression que mes jambes viennent de me lâcher, je me sens tomber, la chute est longue. Je ne percute pas le sol car je suis encore debout et je marche machinalement vers l’échographie. Je tente encore un peu de m’accrocher à ce déni, mais je sais. Je m’allonge sur le lit et à nouveau l’écran nous montre mon fils. Mon regard est fixé sur l’écran au moment où j’entends ces mots : je suis désolée mais son petit cœur a cessé de battre.
J’éclate, je pleure, je ne comprends pas. Dans ma tête, les seuls mots qui me viennent sont : ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, dites-moi que ce n’est pas vrai! Une trappe vient de s’ouvrir sous mes pieds et je suis tombée dans un autre monde. Le monde d’après, celui où l’insouciance n’est plus, où celle que j’étais avant laisse place à celle qui survivra… Je me ressaisis rapidement et demande au médecin c’est quoi la suite des choses. Je dois savoir, je dois comprendre, je dois penser pour ne pas m’effondrer. Elle m’annonce que lorsque je serai prête, elles pourront m’installer le protocole de déclenchement pour commencer le travail et ensuite accoucher. Tout cela me semble irréel, je ne peux pas accoucher de mon fils décédé, c’est inhumain! L’infirmière me connaissant déjà m’explique qu’en accouchant naturellement je pourrais être rentrée à la maison dès ce soir auprès de mon fils. Ces mots d’une justesse sans nom se sont ancrés dans ma tête et dans mon cœur. Pour William qui nous attend à la maison, je vais trouver la force de le faire. Je suis décidée et je demande à ce qu’on commence.
Avant de tout commencer, on prend le temps d’appeler nos familles, nos parents et de les mettre au courant. On me propose la péridurale dès le départ pour m’éviter de souffrir des contractions éventuelles et même si ce n’était pas dans mes désirs de la prendre dans mon plan initial, je l’accepte. De toute façon, je suis perdue, plus rien n’a de sens. Il n’y a plus de plan initial. Personne n’est préparé pour traverser cette épreuve. Au fil des heures, le soleil diminue et une prééclampsie sévère fait son apparition. Je n’ai aucune idée de ce que c’est et cela m’importe peu, je suis dans un brouillard. On me demande de fermer mes yeux, de faire le vide et de rester calme. Ça me va, je suis physiquement très calme, le tourment intérieur est déchainé par contre. Vers 23h00, il est temps de pousser. J’angoisse, j’ai peur, je ne veux pas, je ne peux pas vivre ce moment. En complète contradiction avec ma tête, mon corps, lui, pousse de toutes ses forces. Trois poussées plus tard, il est sorti. Même si j’étais consciente de ce qui nous arrivait, le silence me brise.
Mon fils vient de naitre et les seuls pleurs qu’on entend dans la pièce, ce sont les nôtres. Pas de grands cris, de pleurs, juste le lourd silence de sa venue au monde. Malgré la douleur, je suis sans mot devant sa beauté, une petite bouche en cœur entrouverte, un visage tout rond, de longs doigts, des cheveux aussi noirs que ceux de son frère et des paupières closes. L’effet des calmants et de tous les médicaments commence à prendre le dessus sur ma tête et sur mon corps. Mes souvenirs sont plus flous. Nous avons gardé Charles avec nous deux heures et nous l’avons laissé partir au moment où ils nous ont transférées dans une chambre. Je devais le revoir le lendemain pour sa séance photo alors je ne lui disais pas au revoir mais simplement à plus tard. Installées dans notre chambre, je me dis que je vais enfin pourvoir pleurer librement, mais non, une infirmière doit rester à mon chevet afin de surveiller plusieurs données. Cette nuit-là fut parsemée de réveils, de tremblements, de larmes et de calmants. Je me rappelle encore la sensation légère lors de mon premier réveil, celui où la réalité ne m’avait pas encore rattrapée. Au réveil, ma conjointe m’annonce qu’elle ne se sent pas capable de revoir notre fils. Elle avait eu un beau moment avec lui la veille et souhaitait garder ce beau souvenir. À l’inverse, mon moment avec lui est flou et empreint d’épuisement. Mais sans elle à mes côtés, je ne sens pas la force d’aller le voir seule.
Elle est donc partie à la maison changer nos valises qui étaient remplies de petits vêtements et s’occuper de notre fils. Pendant ce temps, je savais que Charles, mon petit bébé, était dans une chambre voisine en train d’immortaliser son passage trop bref dans nos bras. J’avais une envie folle d’aller le retrouver et de profiter de chaque seconde avec lui, mais sans ma moitié, je ne pouvais pas y aller, j’en étais incapable. Quatre jours plus tard, après une visite aux soins intensifs, on rentre enfin à la maison auprès de notre grand garçon. Une vague de soulagement accompagne cette annonce jusqu’au moment où l’on doit franchir la porte de la chambre. Nous nous apprêtons à quitter l’hôpital avec pour seul et unique souvenir une petite boite brune comportant les maigres effets ayant appartenu à Charles. Plus je m’approche de la porte extérieure, plus les larmes se font lourdes et plus l’angoisse est présente. Le combat intérieur entre revenir auprès de mon fils et ne pas vouloir quitter cet hôpital les bras vides est fort.
Dans l’auto, la coquille de bébé vide ne fait que rajouter à mon raz-de-marée d’émotions. Je me fais violence pour sécher mes yeux et sourire au moment de rentrer dans la maison. J’accueille mon fils à bras ouverts, il me fait un bien fou de le voir, de sentir son odeur, voir son sourire et ses grands yeux brillants. Je suis pleinement consciente que malgré mon sourire et mes maigres talents de comédienne, personne n’est bluffé. Je fais semblant et je ravale mes larmes. La brume s’empare de mon regard chaque fois que je m’attarde à penser à cette porte close dans le corridor. Cette porte qui renferme son lit, sa commode, ses doudous. Sa chambre… cet endroit que j’avais soigneusement préparé pour accueillir sa venue. Je n’ai qu’un souhait : me retrouver seule et y pleurer son absence, ce vide et ce silence qui me torture.
S’en ai suivi une longue route de convalescence, de choc post-traumatique et de réhabilitation à la vie. Sortir de la maison et être félicité pour avoir accoucher mais n’avoir aucun bébé à présenter, la gorge nouée et les yeux embrumés.
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