Pendant quelques années, j’ai été bénévole à la Fondation Portraits d’Étincelles. J’ai décidé de devenir bénévole en ayant la certitude de faire le bon choix, mais en ayant la peur au ventre. Allais-je être capable de faire face aux deuils de bébés partis trop tôt avec autant de proximité ? Et si j’éclatais en sanglots pendant une séance ? Et si je n’étais pas assez solide pour faire le travail dans lequel je m’étais engagée ? Mettre mon talent et mes disponibilités à profit afin de peut-être adoucir la douleur des parents endeuillés pour qui j’immortalise des souvenirs allait de soi, mais la gestion des émotions qui s’y rattachent m’apparaissait beaucoup moins évidente.
De séances en séances, de rencontres en rencontres, d’expériences en expériences, j’ai compris et appris tellement de choses. Autant le moment est déchirant, autant il est riche en humanité. Riche en remerciements sincères, riche en écoute bienveillante, riche en émotions vécues et partagées. C’est généralement un moment doux. Émotif, mais doux. J’ai compris que mon mandat dépasse le simple fait de prendre des photos. C’est un moment parfait pour faire remarquer à quel point Camille a de longs doigts ou Raphaël le même nez que papa. C’est un hommage respectueux pour le petit être à qui les parents disent adieu.
J’ai parfois de drôles de commentaires sur mon implication dans la Fondation. Des sourcils froncés, des yeux qui ne comprennent pas. Des « Pourquoi ça t’amuse de faire ça ? ».
Ça ne « m’amuse » pas. Au contraire. Je préfèrerais que mon implication soit non nécessaire et que les tristes histoires n’existent pas. Mais hélas, elles existent. Et ignorer que ça existe, ça représente une violence importante pour tous les parents anges. Je ne suis pas amusée, mais je suis incapable de garder les yeux fermés. Je veux être présente quand je le peux, comme je le peux. Je veux faire le bien autour de moi.
Au fil des séances, je me suis souvent demandé si ce n’était pas assez pour mon cœur. Si ce n’était pas trop bouleversant, trop émotionnellement envahissant, trop renversant pour ce que je suis capable de gérer. Si ce n’était pas trop difficile de côtoyer ainsi la mort.
Mais il me suffisait d’y penser quelques minutes pour me rappeler que je ne photographie pas la mort. Je photographie la vie. La vie qui a bien existé, qui est bien réelle, celle qui a donné des petits coups de pieds au travers d’un ventre rond. La vie dans sa plus triste expression, mais aussi dans ce qu’elle a de plus puissant : l’amour parental au cœur de la pire des épreuves.
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