J’ai hésité à vous partager notre histoire pour ne pas choquer des gens mais, en y pensant bien, j’aurais aimé savoir que ça existe avant d’y être confrontée. Alice est arrivée dans nos vies le premier mois d’essais sérieux, tout allait si bien et si facilement. Je savais que jusqu’à 12 semaines rien n’était gagné d’avance, j’étais tellement stressée, j’avais peur de la perdre. Ma grossesse se déroulait normalement, à l’échographie de 12 semaines tout était beau et mes prises de sang pour la trisomie aussi. Enfin, on pouvait se projeter et annoncer notre projet à toute notre famille et nos amis. Comme nous n’avions aucun antécédent particulier, notre suivi est régulier, alors la prochaine étape est l’échographie de morphologie à 22 semaines. J’appelle donc pour mon rendez-vous. Ma 22e semaine arrive le vendredi 13 décembre, oui vendredi 13. Bon… on ne sera pas superstitieux ça va bien aller, il n’y a aucune raison de s’inquiéter non?
Je suis quand même très stressée puisque je veux garder le sexe de mon enfant secret pour avoir une surprise à la naissance et mon chum a finalement accepté de garder la surprise!
Le matin de l’échographie, on est tellement excités, comme deux enfants dans la salle d’attente, on prend des photos pour avoir des souvenirs positifs. Nous voilà dans la salle d’échographie, le technicien nous accueille. Je lui mentionne qu’on désire garder le sexe de notre enfant secret et l’examen commence. Tout se déroule normalement, il nous montre tous ses organes et nous explique que tout est beau. Alice se cachait la tête alors il me demande de me lever, de sautiller, de marcher pour prendre les mesures. Nous reprenons l’examen et c’est là que ma vie s’effondre. Il nous mentionne que notre bébé a un problème au niveau du cerveau, qu’il doit aller vérifier avec la gynécologue et me faire voir par celle-ci. Je suis anéantie, je sais comment nous parlons aux familles quand nous avons de mauvaises nouvelles, mais là je ne suis pas la soignante, je suis la patiente.
Je pleure, je regarde Marc-André je lui dis: Marc ça ne regarde pas bien, il me serre la main en silence. Je ne fais que pleurer, le technicien revient et tente de me rassurer en me disant qu’on doit aller vérifier dans un centre spécialisé (Ste-Justine) et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour l’instant. Je comprends exactement, ce qui se passe, on découple les mauvaises nouvelles pour que le choc soit moins grand. Finalement, la gynécologue n’y va pas avec le même discours : « je ne peux pas te dire que c’est normal » « tu dois voir un généticien » « on est au Canada, tu vas avoir le choix peu importe l’âge de ta grossesse » « je ne peux pas te diriger sur des lectures puisque ce n’est pas un syndrome connu » « tu dois retourner à la maison et attendre que Ste-Justine t’appelle ». Mon bébé que j’aime du plus profond de mon âme ne va pas bien et je ne peux rien faire pour l’aider. Ma vie est brisée, je la sens bouger, je ne fais que pleurer à la maison. On avise nos familles qui sont sous le choc total. La petite sent mon stress puisqu’elle n’arrête pas de bouger et au lieu de me rendre heureuse, ça me rend énormément triste de la sentir bouger.
Le rendez-vous à Ste-Justine est le jeudi 19 décembre, centre de diagnostic prénatal, mon cerveau oscille entre le déni et la peur, en espérant que mon hôpital a mal vu et qu’ici, l’échographie soit de meilleure qualité. Bref, qu’ils me disent que tout est normal. Malheureusement, ce n’est pas le cas, la radiologiste nous indique plus précisément ce qui se passe avec le cerveau de notre bébé. Nous demandons à ce moment-là le sexe de notre enfant et c’est une fille. Marc-André parlait souvent à mon ventre en disant Alice aux pays des merveilles, alors que j’étais convaincue d’avoir un garçon, nous choisissons donc son prénom, Alice.
Le conseil de génétique se réunit sur l’heure du dîner, on revient à la maison pour que je puisse me coucher dans le lit et pleurer en paix plutôt que d’attendre dans une salle avec d’autres mamans. En après-midi, on rencontre la généticienne, elle nous explique les 3 malformations au cerveau de notre enfant ainsi que la malformation de sa mâchoire et que les 4 ensembles c’est inquiétant. Elle ne connaît pas de syndrome clair avec ces symptômes, on pourrait faire une amniocentèse pour voir les chromosomes, mais que ça ne va rien changer au fait qu’Alice a des malformations. On pourrait aussi faire un IRM de son cerveau, mais cet examen va seulement révéler les mêmes malformations que l’échographie, ça ne nous dira pas comment le cerveau d’Alice va fonctionner. Elle nous présente nos deux « choix », soit poursuivre la grossesse en ne sachant pas si notre fille va survivre et en sachant qu’elle aura des problèmes de développement si elle survit, soit faire une interruption médicale de grossesse.
Deux options totalement déchirantes, personne ne devrait jamais avoir à faire face à ce choix pour son enfant. Pour le bien-être d’Alice, nous avons opté pour l’interruption médicale de grossesse, Marc-André et moi devons signer tous les papiers, nous sommes en pleurs, l’équipe nous supporte avec leur approche calme et réconfortante. Nous rencontrons la gynécologue qui devra prescrire les médicaments et nous devons faire des choix auxquels nous ne pensions pas être confrontés. J’accoucherai d’Alice sans avoir arrêté son coeur avant, j’aimerais tellement que Marc-André puisse la prendre vivante et la sentir bouger, lui partager un peu la proximité que je vis avec ma fille depuis le début de ma grossesse. Aucune garantie qu’Alice va survivre aux contractions ni à l’accouchement, mais nous choisissons cette option. La gynécologue me rassure que la petite recevra des soins palliatifs après sa naissance et qu’elle aura droit à de la morphine au besoin, elle ne va pas souffrir. Nous devons revenir à Ste-Justine le lundi 23 décembre pour recevoir les médicaments pour provoquer l’accouchement.
Comment se préparer à ça? Comment continuer à vivre en sachant que tu devras dire au revoir à ton enfant dans 3 jours? Comment préparer le décès de ton enfant désiré? Nous avons profité de ces trois jours pour faire des souvenirs, une échographie 3d, un toutou avec son coeur enregistré et nous avons tenté de prendre des photos avec la bedaine sans trop montrer notre détresse. J’ai pris énormément de bains avec la petite, je la voyais bouger dans l’eau, je pleurais sur le coup, mais en y repensant, je suis tellement heureuse d’avoir pris le temps d’apprécier d’avoir porté sa vie. Je devais prendre un comprimé pour ramollir le col de l’utérus le samedi 21 décembre, je n’étais pas capable, j’étais en crise, la pilule dans la main, incapable de la mettre dans ma bouche et de l’avaler. J’ai passé 8 heures avec le comprimé dans la main à pleurer et parler à Alice, à lui expliquer pourquoi nous prenions ce choix. J’avais l’impression de l’abandonner. Vous savez, aux soins intensifs je prends soin des gens sous respirateur, sous gavage et alités. J’aurais pu prendre soin de ma fille dans cet état-là, le problème c’était elle, aurait-elle été heureuse d’être alitée, de ne pas se développer comme les autres enfants, de ne pas profiter des plaisirs de la vie comme manger, s’exprimer, marcher, apprendre, jouer, découvrir et même respirer sans aide. Marc et moi étions assis côte à côte et j’ai réussi à prendre le comprimé après 8 heures d’essais.
Deux heures après la prise du médicament, j’ai commencé à avoir des crampes, comme les crampes menstruelles, je pleurais, j’étais en détresse, faisons-nous le bon choix pour elle? Qu’est-ce qu’on vit? Pourquoi nous? Vais-je être capable d’accoucher? Est-ce que Alice comprend notre décision ou se sent-elle abandonnée? Est-ce qu’on peut tout annuler et ne pas se présenter à l’hôpital lundi? Notre famille et nos amis nous ont accompagnés durant tout le processus, ils étaient là pour nous supporter, nous avons de la chance.
Lundi 23 décembre, je n’ai pas dormi de la nuit, j’essaie de manger quelque chose, je dois accoucher, je dois avoir de l’énergie. Je vomis, ça ne va pas du tout, je tremble, je pleure. Qu’est-ce qu’on s’en va faire? J’ai tellement peur, peur de ma décision, peur que ma fille se sente abandonnée, peur de ne pas être capable d’accoucher, peur de mourir moi aussi? On arrive au département des naissances, on nous met dans une chambre éloignée des autres, tout est bien pensé. Notre infirmière est d’une douceur exceptionnelle. Je me sens soignée avec dignité et sans jugement. Nous débutons les comprimés pour déclencher les contractions. Après 30 minutes, ça commence, et ça ne me lâche pas, mon ventre est dur en continu, aucune pause de contraction, la douleur physique est tolérable, la douleur émotionnelle est très difficile. L’équipe de nursing est excellente, ils me proposent pleins de techniques de soulagement de la douleur. J’ai droit à l’épidurale, mais je la refuse puisque je veux rester en contrôle… Cordonnier mal chaussé! La contraction a duré 23 heures, mon chum et l’équipe ont été parfaits, surtout pour me supporter psychologiquement.
Alice est née le 24 décembre à 6h58, elle était vivante, elle était dans les bras de son papa en peau à peau. Une belle fille née à 23,4 semaines de grossesse, elle mesure 32 cm et pèse 554g. Nous la trouvons magnifique, nos familles ont eu la chance de venir la rencontrer lorsqu’elle était vivante, nous avons pu la toucher, la rassurer. Elle était tellement paisible, aucun signe de souffrance sur son visage. Alice est décédée dans les bras de son papa à 8h50, je n’aurais pas pu espérer une meilleure vie pour elle, entourée de sa famille, remplie d’amour et sans souffrance. Durant la journée, nous avons eu la chance de la prendre, de la couvrir de bisous, de la bercer, de la présenter à nos familles et quelques amis, de lui donner son bain, d’écouter des chansons avec elle, de prendre des photos avec la Fondation Portraits d’Étincelles, de faire des empreintes de ses pieds à l’encre et en plâtre, de dormir avec elle. Nous avons eu la chance d’être des parents et de prendre soin d’elle physiquement pendant 24h. Nous avons remis Alice à l’infirmière le lendemain matin, ce moment est très déchirant, devoir laisser son bébé et savoir qu’on n’aura plus jamais la chance de la voir physiquement. Ensuite, nous avons quitté l’hôpital, par chance mes parents étaient là, revenir à la maison sans mon bébé, ne plus avoir mon ventre de grossesse, ressentir le vide physique et psychologique, avoir l’impression que ma vie ne sert plus à rien, à quoi bon continuer sans mon enfant?
Alice est décédée il y a presque 11 mois, ce dernier 11 mois a été très difficile. J’ai appris que les malformations d’Alice étaient causées par un problème génétique. J’ai un problème génétique, une translocation équilibrée, je suis la première de ma famille avec ce problème. Je suis la « 1 personne sur 500 personnes » avec ce problème-là, malgré que je suis en parfaite santé, quel choc d’apprendre ça et pourquoi ça m’arrive à moi? La culpabilité irrationnelle d’avoir causé du tort à mon enfant, d’être la cause de ses malformations, c’est difficile à porter comme poids. Le risque de récidive est 2 chances sur 4 d’avoir un enfant en santé et 2 chances sur 4 d’avoir un enfant déséquilibré. Un risque important à considérer pour une prochaine grossesse. Nous avons reçu le support inestimable de nos familles, de nos amis et des professionnels de la santé qui me suivent. Ce qui me fait du bien, c’est de parler d’Alice et de la faire vivre à travers ma vie malgré son absence physique. Je suis encore en reconstruction et j’espère tellement qu’un jour, je pourrai me pardonner et qu’Alice sera un doux souvenir pour moi.
Je t’aime ma Alice aux pays des merveilles.
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