Après plus de deux ans de galères, enfin je vois mon rêve, notre rêve, se concrétiser, je suis enceinte, et c’est même une double récompense ! J’attends des jumeaux, une fille et un garçon ! Que demander de plus ? Tout se passe bien, jusqu’à la 22ème semaine, à partir de laquelle je dois rester alitée, car je risque un accouchement prématuré. Le 18 mars 2017, prise de douleurs dans le dos, nous partons à la maternité, sans se douter une seule seconde de la tournure des événements. Moins de trois heures plus tard, je m’apprête à mettre au monde mes jumeaux, alors qu’il est beaucoup trop tôt, cinq mois et demi de grossesse. Comment imaginer à ce moment-là ce qui nous attendait ?
Une grossesse dure neuf mois, quand elle s’arrête brutalement, on n’est pas préparée, d’ailleurs le choix des prénoms n’était pas fait. On se disait qu’on avait encore le temps… Sauf qu’à partir de ce jour, on ne le savait pas, mais le temps nous était compté.
Mes bébés sont nés rapidement et ont été pris en charge par le SAMU de l’hôpital de niveau 3 où ils ont été transférés après un bref passage près de nous. Le lendemain, nous sommes allés les voir, et autant dire que ce fut un choc. Je ne réalisais pas encore que j’avais accouché, que mon ventre était vide. Cette grossesse m’avait été volée, elle était inachevée. Lorsque j’ai découvert mes petits amours branchés, avec des sondes et des capteurs partout, j’ai eu peur, vont-ils survivre ? La culpabilité envers moi-même était à son maximum, par ma faute, ils sont là, dans une sorte d’utérus artificiel, où rien n’est naturel, au lieu d’être au chaud dans mon ventre. Je n’ai pas su les garder et je me souviens de tous ces moments durant ma grossesse durant lesquels j’aurai dû me reposer… Je veux savoir pourquoi mon corps n’a pas mené cette grossesse à terme, j’ai besoin de trouver une raison…
Les jours passent et se ressemblent, j’essaie de recréer ce lien brisé entre nous. L’amour est là, il est fort, ces deux petites crevettes de 640g et 780g débordent de tendresse. Le soutien de mon mari est sans faille, sans lui, je ne tiendrais pas le coup. Les nouvelles, autant bonnes que mauvaises, s’enchaînent, j’ai l’impression d’être en plein cauchemar, comme si ce n’était pas moi qui vivait tout ça. Le vendredi soir, je sens que notre petite fille, Wijdane, est fatiguée, elle n’est pas comme les jours précédents, des désaturations et des bradycardies inexpliquées me font monter l’angoisse, nous la quitterons le soir, après une radio pulmonaire plutôt normale pour un petit préma de ce stade. Mais au fond de moi, je sais, je le sens, quelque chose ne va pas !
Lors de mon appel le lendemain matin à 6h, la pédiatre me dit que son état n’est pas stable, elle a eu une transfusion, et est sous antibiotiques car elle a peut-être une infection. Je préviens que nous ne pourrons venir qu’en début d’après-midi. Mais, quelques heures plus tard, une autre pédiatre m’appelle, je crois que j’ai tout de suite compris. Wijdane ne va pas bien du tout, 100 % de besoin en oxygène, et une saturation trop basse, son cœur commence à ralentir, si on veut l’accompagner, nous devons venir. Bien sûr que nous n’allons pas laisser notre bébé mourir seul !
Une heure après, nous sommes auprès d’elle, son teint gris et sa faiblesse montrent qu’elle n’en peut plus. Je commence par la prendre contre moi, pour la première fois je sens sa peau contre la mienne, la chaleur de son petit corps et son odeur… Ensuite, son papa la prend un moment, mais après une baisse soudaine de sa fréquence cardiaque, il préfère que je la reprenne, pour qu’elle puisse partir tout en étant contre moi. Sur le moment, je ne m’en sens pas capable, comment accepter de porter son enfant qui va quitter ce monde, je ne réalise pas, je suis comme figée. J’aimerais que ce moment dure une éternité pour avoir le temps de comprendre vraiment et, surtout, de profiter de mon bébé que je ne connais pas encore assez, une semaine c’est trop court ! Je ne suis pas prête, mais ce n’est pas moi qui choisis, alors, ce 25 mars 2017 à 16H15, notre coquelicot a pris ses ailes, tout contre moi. Son corps sans vie se refroidit vite, mais elle bouge encore, les nerfs disent les médecins… Quelques minutes après, nous la laissons entre les mains des infirmières qui vont s’occuper d’elle et nous apprendrons plus tard, que c’est un staphylocoque qui l’a emportée.
Iyass, son frère, continue le combat, on veut croire qu’il s’en sortira, je ne supporterais pas de le perdre aussi. Son parcours est parsemé d’embûches, mais aussi de bons moments, plein de bonheur. Ne voulant pas faire les même erreurs qu’avec Wijdane, je profite au maximum de lui, je m’en occupe beaucoup, le papa aussi, on joue enfin notre rôle de parents, en faisant abstraction de cette boîte en plexi. Les « peau à peau », les soins, les petites histoires, les moments de rigolades font notre bonheur. Je lui dis les mots magiques chaque jour, je l’encourage à se battre, car une vie meilleure l’attend dehors. Sa sœur me manque terriblement, à lui aussi, je le sais, car leur lien est fort. Il est mon journal intime, je lui dis des choses que personne d’autre ne sait, et ne saura, j’ai besoin de ça. Il est devenu ma raison de vivre, j’ai tellement peur pour lui. Il est le seul qui pourra m’aider à surmonter l’envol de sa sœur.
Au fil des semaines, il évolue bien, on le voit, il est éveillé, il sourit, il nous suit du regard, parfois il rigole. Il a toujours besoin d’une aide respiratoire, mais l’intervention pour ligaturer le canal artériel est prévue, par la suite, l’extubation serait proche. Sauf que… comme on le sait, quand on est parents d’un prématuré, rien ne se passe forcément comme prévu. Quelques jours avant l’intervention, Iyass montre les signes d’une entérocolite ulcéro nécrosante, cette maladie inflammatoire de l’intestin, bien connue chez les bébés nés avant 32 SA. La peur me gagne, je sais déjà que des petits bébés meurent à cause d’elle. Finalement, il sera opéré en urgence quelques jours plus tard, avec la pose d’une stomie. Tout s’est bien passé, le lendemain, il se porte comme un charme et s’améliore même au niveau respiratoire. Il nous épate ce petit ! Les médecins aussi sont agréablement surpris, on nous parle même d’extubation, et de transfert en soins intensifs ! N’allons pas trop vite non plus.
Malheureusement, le 10 mai, on nous apprend que notre fils souffre de lésions cérébrales importantes, avec des séquelles motrices et cognitives. Une réunion est prévue le lendemain avec des spécialistes, notamment un neurologue qui a suivi des enfants ayant ces lésions, mais pour le moment, la pédiatre est formelle, il sera lourdement handicapé. Cette annonce fut terrible à entendre, on connaît déjà le fonctionnement de la néonatalité, Wijdane ayant eu une hémorragie cérébrale, nous avions compris que rien de déraisonnable ne serait fait, et que si c’était pire, un arrêt des soins était possible. On le sait, nous aurons les mêmes paroles. On en parle le soir, entre nous, en ne pensant uniquement à la vie que pourrait avoir notre fils, et non aux jugements et aux avis que pourraient nous donner nos proches.
Pour nous, il est inconcevable que notre fils passe sa vie en étant « un légume », une vie de souffrances. Pour le moment, nous ne sommes sûrs de rien, nous attendrons de revoir les médecins pour prendre une décision. C’est donc le lendemain après-midi que le chef de service décide de nous voir. Il nous montre les examens d’Iyass, nous explique les séquelles qu’il aurait, car, au vu de l’état de son cerveau qui est très abîmé, il ne pourra jamais marcher, ni déglutir, donc impossibilité de manger, boire et avaler sa salive, et pire, il ne pourrait sûrement pas respirer seul. La leuco malacie péri ventriculaires est causée principalement par l’immaturité du cerveau, mais l’entérocolite a peut-être intensifié les lésions, car les toxines ont pu attaquer son cerveau. C’est donc avec tous ces éléments que nous décidons avec l’équipe médicale d’un arrêt des soins. À partir de maintenant, plus de prises de sang, d’antibiotiques ou d’examens pour Iyass. En fait, ce sont plus des soins palliatifs, on le laisse tranquille, son confort est leur priorité.
Nous devons cependant « choisir » un moment pour « le débrancher », je déteste ce terme, alors on préfère dire qu’on va l’extuber, pour le laisser partir tranquillement. Ce n’est pas aussi simple, prendre la décision est déjà très difficile, mais se dire qu’on va « tuer » son enfant à tel moment, c’est pire. Deux jours après, Iyass se fatigue, les bradycardies se font plus souvent, il ne réagit plus, il n’ouvre plus les yeux, je le sens partir… Le papa pense que je me trompe et se dit qu’il y a encore du temps, que lundi on prendra la décision, que mes parents pourront revenir le voir dimanche… Et moi, j’ai peur qu’il s’envole sans que nous puissions être près de lui. Samedi après-midi, son tonton vient faire quelques photos et nous passons une partie de la soirée avec lui.
Nous le laissons vers minuit, dans l’espoir que, demain, nous pourrons encore le prendre contre nous. Mais, moins de trente minutes après être rentrés, la pédiatre nous appelle, il vient de faire une grosse brady et sa saturation ne remonte pas. Comme on a décidé de ne rien faire en cas de difficultés respiratoires, elle n’augmente pas l’oxygène, on reste à 30 %. Elle me dit qu’il est temps de répondre à sa demande, jamais je n’oublierai ses mots. Moins de 30 minutes après, j’avais mon bébé dans les bras. Je lui ai lâché tout ce que j’avais sur le cœur, nous lui avons fait des promesses, et nous lui avons demandé de dire à sa sœur que nous l’aimerons toujours et qu’elle nous manque terriblement. Après ça, nous étions prêts à le laisser s’envoler pour le paradis, alors nous attendions, tristes et anéantis, que son petit cœur s’arrête. À 2h20, le 14 mai, Iyass a rejoint sa sœur.
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