Le soir de l’Halloween 2013, mon fils, alors âgé de 2 ans, s’était déguisé en pirate. Pendant que je lui dessinais une moustache, il me regarda et me dit « Maman je t’aime »…
Quelques minutes plus tard, en lui tenant la main pour débuter notre récolte de bonbons, j’essuyai des larmes mêlées de bonheur et de tristesse, à la fois. Il venait de mettre un baume sur mon cœur ébréché. Ce qu’il ne savait pas, c’est que la veille, je venais d’accoucher de sa petite sœur d’à peine 24 semaines, dont le cœur ne battait plus.
J’avais tenu mordicus à avoir mon congé de l’hôpital. Je tenais ironiquement à continuer de vivre malgré la Mort, malgré la peine. À ne rien ternir de la nuit promise à mon fils, lui, qui ne connaissait rien à l’injustice et au cycle de la Vie. À faire un pied-de-nez à cette Faucheuse maudite qui avait décidé du sort de mon bébé à naître.
Ma belle enfant. Si petite et si frêle. Elle était la princesse que j’espérais depuis si longtemps. Depuis toujours en fait. D’aussi loin que le temps où je jouais à la poupée.
La nouvelle de sa venue était survenue en même temps que la fin de mon stage #1 en éducation à l’enfance. Je ne m’y attendais pas, étant encore aux études, en appartement et ayant mon fils en bas âge. Néanmoins, ma joie était plus forte que tout et je savais que j’allais avoir une fille, c’était une certitude en moi.
Les semaines passaient et ce petit bonheur qui grandissait en moi était une source inexhaustible d’énergie et de détermination. Je jonglais certes entre mon sommeil, mes études, mon travail ainsi que ma famille, mais je gardais la tête hors de l’eau en pensant à elle, à ma fille.
Mes rêves étaient teintés de rose, de mauve et de paillettes. J’avais vraiment l’impression que je ne visais plus que la Lune, que je visais désormais l’Univers en entier.
Mon deuxième trimestre entamé et mon stage final au Collège qui commençait, j’avais dû choisir de passer les tests en règle pour pouvoir le faire en milieu scolaire, où les risques de maladies infantiles sont beaucoup moins présents. Donc, à ma première semaine de stage, j’avais rendez-vous pour ma dernière échographie…
Jamais je n’oublierai le visage de la jeune technicienne qui a essayé, tant bien que mal, de cacher son désespoir face à ce qu’elle voyait à son écran… ce qui m’a paru être 10 minutes n’a probablement duré que 2 minutes tout au plus, mais avant même que le médecin viennent nous rejoindre dans la salle, une pluie diluvienne noyait déjà mon âme… j’ai su qu’elle était partie, je ne sais comment, mais j’ai su.
Quand pleurer ne semble même plus possible. Quand même les pleurs sont paralysés, figés, fossilisés à l’intérieur de l’incompréhension et du déni… c’est là que j’étais.
Une fleur fanée existait dans mon jardin et je voulais tout faire pour ne pas étioler ce qu’il restait d’elle. Je l’ai donc accouchée, en douceur, en paix avec son destin… Je l’ai tenue, je l’ai embrassée, admirée. Et c’est ce souvenir, ce moment magnifique que j’ai enfoui dans la terre de mon âme, dans l’éternelle mémoire du cœur qu’elle a marqué à jamais.
Luna. Son prénom m’était venu instinctivement, comme s’il avait été créé en son honneur. Ma précieuse Luna. À chaque pleine Lune elle me sourit, m’apaise, m’aime.
Le courage c’est quoi? Le courage c’est de survivre, de se relever quand tout le monde s’attend à vous voir croupir sous le poids du désespoir. Le courage vient de ce qui est pur, de ce qui est innocent. Le courage naît d’un désir de donner un sens au drame.
J’ai eu à faire un choix: soit prendre congé et ressasser encore et encore ma grossesse interrompue, en me posant des questions existentielles qui ne m’auraient pas ramené mon ange. Ou m’élever, continuer, accepter.
Je sais que Luna m’a pris la main pour m’aider à surmonter cette épreuve. Je la sentais tout près, toujours. Dans chacun des messages d’encouragement, dans chacune des pensées que mon entourage m’envoyait… et j’ai plongé, tête première.
Quatre jours après avoir vu mon château s’écrouler, j’étais là, entourée de 5 bébés. Ces 5 poupons m’ont manifestement sauvée. Mon corps encore meurtri ne demandait que cela, tenir les bébés, les faire rire, en prendre soin, les bercer, les aimer. À la fin de mon stage, je me sentais cicatrisée, renouvelée… et fière.
Et la Vie a fait que ces mêmes bébés sont devenus mon premier groupe officiel en tant qu’éducatrice diplômée! Oui, je les ai eus dans le groupe des 18-24 mois. Je leur ai tant donné, autant qu’eux m’ont apporté. J’étais en symbiose avec eux.
Puis, un jour, j’ai appris que j’étais à nouveau enceinte… à 16 semaines de grossesse exactement! Je crois encore à ce jour que Luna y était pour quelque chose dans cette grossesse surprise (!). Un beau clin d’œil en fait.
Comme si j’avais appuyé sur pause et repris, presqu’au même moment, la grossesse que je désirais tellement… Une autre fille, encore, j’en étais persuadée!
La journée où j’ai aperçu ma fille, à l’instant précis où elle a été déposée sur moi, mon conjoint et moi, nous sommes échangés un regard complice et heureux… elles avaient les mêmes traits… comme des jumelles cosmiques…
Et voici comment ma fille Soléa est venue au Monde. À peine 10 mois après cette soirée d’Halloween. En plein été, avec un Soleil brillant et éclatant. À l’image de ma princesse. Mon rayon de Soleil. Une boule d’énergie, une force de la Nature. Une battante.
On ne sait jamais ce qui nous attend au détour, la Vie peut ressembler à un jeu de serpents et échelles. Aujourd’hui je ne peux pas nier que perdre Luna a été un dur choc. Je pense à elle encore bien souvent. Elle me manque…Mais d’un autre côté, je n’aurais sûrement pas eu la chance d’avoir mon bébé arc-en-ciel si cela n’avait été d’elle… Et comment aurais-je survécu à une Vie sans Soléa?
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