Ton début de vie commence le 11 août 2019 : tu es un petit amas de cellules, un petit embryon noté 5AA, qu’on me transfère dans l’utérus chez Fertilys. En quelques jours, tu décides de t’accrocher à la vie et de faire en sorte que je sois maman pour la deuxième fois. C’est avec beaucoup de bonheur, le 16 août, que j’annonce à papa que les nombreux tests de grossesse que j’ai faits sont positifs. J’entends et je vois ton petit cœur battre pour la première fois le 10 septembre à 7 semaines de grossesse lors de l’échographie de viabilité. C’est magique, tu es bien vivant ! Naïvement, à ce stade, plusieurs de mes angoisses se dissipent… Je ne me doute pas que le pire est devant moi. Dans ma tête, en ayant vu ton activité cardiaque, je me dis que tout va bien aller pour la suite… Je flotte littéralement sur un nuage.
Le matin du 15 octobre, je me sens anxieuse. Je dis à papa que je trouve très étrange que la journée de mon premier suivi de grossesse et de mon échographie de clarté nucale tombe en même temps que la journée du deuil périnatal. J’espère que cette coïncidence ne me porte pas malheur. Ma petite voix intérieure a par contre raison : c’est le début de la fin de notre histoire… Cette journée-là, à 12 semaines de grossesse, j’apprends que tu as une mégavessie… Le radiologue nous dit que j’allais devoir être suivie à Ste-Justine pour la suite des choses. Je sors de la bâtisse d’Écho-Medic complètement perdue, apeurée et triste. C’est le néant total, le vertige… Je souhaite tellement qu’il se soit trompé, qu’il ait mal regardé… Le soir même, je commence à faire des recherches sur Google. Je lis un nombre incalculables d’études médicales sur les mégavessies. Rien de ce que je vois ne me rassure… C’est une mauvaise idée… Le lendemain, trop tourmentée, j’ai un gros accident de voiture… 13 000$ en dommage… J’ai de la « chance », je n’ai aucune blessure… À bien y penser aujourd’hui, j’imagine que tu étais déjà destiné à être mon petit ange gardien…
Le matin du 19 octobre, papa et moi allons chez Fertilys. Le sentiment qui m’habite ne s’explique même pas avec des mots… Je retiens mon souffle. Dr Miron commence par regarder ta vessie… Magie, elle est maintenant résorbée. Je pousse un soupir de soulagement. Encore une fois, je suis tellement naïve… Le reste de l’échographie révèle de bien pires scénarios : tu as une anomalie cardiaque probablement majeure et ton estomac n’est pas à la bonne place… Quand j’entends ces anomalies, j’éclate en sanglots et j’ai l’impression de tomber dans le vide. Je n’arrive plus à respirer, je cherche mon souffle… Je ne sais même plus si je peux croire en toi, en nous. Un tas de possibilités se défilent dans ma tête. Papa et moi sommes complètement atterrés de te savoir si malade… J’aimerais pouvoir me détacher de mon corps pour ne plus ressentir la tristesse qui m’envahit en regardant mon ventre. J’hurle de peine et de colère jusqu’à la maison…
Depuis le choc de la nouvelle, les secondes paraissent des heures… J’ai de la misère à « vivre » mes journées et à m’occuper de ta petite sœur de 16 mois… Je pleure constamment. Tout est pénible. Chaque fois que je me regarde dans le miroir et que je vois mon ventre, j’ai mal. Chaque fois que je sens des petites vagues qui manifestent ta présence, j’ai le cœur serré… J’attends avec angoisse et impatience notre premier suivi à Ste-Justine.
Le 21 octobre, à Ste-Justine, une généticienne nous rencontre enfin pour nous faire part des syndromes et des maladies génétiques dont tu pourrais peut-être souffrir au regard de tes anomalies physiques. J’ai des étourdissements… Nous allons ensuite te voir à l’échographie… Tu bouges tellement, tu sembles bien dans mon ventre… Pourtant, les images démontrent que tu as bel et bien une cardiopathie et que ton estomac est à droite. Je ne veux pas le croire, je suis dans le déni. On me dit à ce moment que je dois attendre 3 semaines pour réévaluer l’envergure de tes « bobos ». Oui, je dois te laisser grandir… La culpabilité qui m’habite est invivable : te laisser te développer encore plus dans mon ventre, m’attacher encore plus à toi… Tout ça… En ne sachant même pas si je pourrai te garder…
Depuis ce premier suivi à Ste-Justine, pour me protéger, je mets ma grossesse sur « pause » et je m’empêche de profiter de ta présence… Je m’en veux parce que je sens que je te veux autant dans ma vie, mais j’ai trop peur de te perdre à tout jamais… J’ai tellement rêvé de ce moment : de te porter, de te voir naitre et grandir… Je suis déchirée. L’incertitude de ne pas savoir ce que tu as me rend complètement inerte… Mon corps ne suit plus mes pas. Ta différence ne me fait pas peur, mais c’est la crainte que ton « bobo » au cœur te/nous fasse subir un tas d’épreuves insurmontables qui me donne le vertige… Je te parle moins, je fais comme si tu n’existais pas. Je m’en veux tellement mon petit Arthur. Le temps est tellement long et lourd…
Le 18 novembre, papa et moi allons à Ste-Justine pour te voir, tu as assez grandi. J’ai peur de tomber de haut sans ne pouvoir rien faire pour toi… Je sais que les miracles n’existent pas, mais je souhaite que les tests ne révèlent pas une fatalité et que rien d’autre de terrible ne soit trouvé… C’est l’espoir qui maintient debout… On sort de la salle, on nous dit d’attendre la cardiologue… On entre enfin dans son bureau. Les mots prononcés raisonnent dans mes oreilles : « Votre bébé souffre d’une cardiopathie majeure et seulement des interventions palliatives pourront l’aider ». Je fige et me met à pleurer. De se le faire confirmer fait tellement mal… Un poignard en plein cœur. Papa me regarde d’un air démuni et perdu. La cardiologue nous fait un dessin de ton cœur et ce qu’elle nous explique est tellement compliqué. Cela signifie donc que tu devras subir de multiples chirurgies à cœur ouvert dont le pronostic demeurera incertain… Une chose est claire : ton cœur ne fonctionnera jamais normalement. Je perds complètement la tête… Je sens que je vais m’effondrer… La journée ne fait que commencer et je suis déjà anéantie… Papa et moi devons maintenant, avec cette lourde nouvelle sur les épaules, nous rendre à l’échographie de morphologie. Le technicien prend plusieurs images… Je suis à peine consolable et je tremble sur la table. Je te regarde bouger et j’ai le cœur en morceaux. Le rapport final du radiologue n’est guère mieux pour cette échographie : tu as plusieurs organes situés à des endroits inhabituels (on nomme cela un « situs inversus ») ainsi que les deux reins croisés et fusionnés d’un même côté. Un autre fardeau qui s’ajoute au lots de mauvaises nouvelles du matin… Papa et moi tentons, le regard vide et le cœur à l’envers, de manger une bouchée en attendant de discuter de ces deux échographies avec le département de la génétique. Une fois dans le bureau, on nous incite fortement à faire l’amniocentèse au regard des multiples anomalies. J’accepte à contrecœur parce que je sais que c’est ce qu’il y a à faire… Intérieurement, je me dis que cela va peut-être « alléger » ma prise de décision si on venait qu’à te découvrir une grave anomalie génétique… Je me rends donc à la salle d’intervention avec papa. J’ai froid. Je vois l’aiguille transpercer ton habitat à l’écran. J’ai peur qu’elle te touche… Je ne veux tellement pas que tu souffres. Je n’aime pas la sensation sur mon ventre, je pleure doucement afin de ne pas bouger… Le prélèvement semble durer une éternité. Je me sens coupable de te faire vivre cela… J’ai l’impression qu’on a « violé » ton intimité. Je sors lentement de la salle avec papa… On nous dit que les résultats seront prêts dans 5 longs jours. Dans l’auto, un lourd silence règne… À la maison, papa prend soin de moi afin que je me repose. Je dois rester allonger un certain temps…
Les jours passent et j’attends un signe, une révélation. Papa et moi parlons constamment de ce que nous pourrions faire : te garder en ne sachant pas ce qui pourrait t’arriver ou te laisser partir loin des souffrances… On pleure souvent ensemble.
Quelques jours plus tard, je reçois les résultats des analyses génétiques : tu n’as rien ! Apparemment, ton cas est une pure malchance « sporadique ». Comment la vie a-t-elle pu être aussi injuste avec toi ?
Le 4 décembre, après de longues et pénibles réflexions, nous faisons finalement ce choix déchirant : nous allons te laisser partir, cher petit Arthur… Nous croyons que de te garder serait complètement égoïste de notre part, car tu souffrirais énormément toute ta fragile vie… C’est terrible que de prendre une décision pour ta vie, mon bébé… C’est contre nature… Je survis depuis des semaines… Comment vais-je survivre à ton départ maintenant ? Ça me semble complètement invivable. Je profite des derniers jours en ta compagnie pour débuter tranquillement le deuil de ta présence en moi… Je verse des larmes en hurlant et je tente d’accepter l’inacceptable qui s’en vient… Je vais au magasin reporter quelques items de bébé qui étaient pour toi… Je pleure, ça me déchire le cœur. Toutefois, je conserve précieusement ta doudou renard et ta mousseline. Je veux te les offrir à ta naissance, comme un « vrai » bébé.
Le 8 décembre, en avant-midi, je tiens le comprimé de Mifépristone dans ma main… C’est le médicament à prendre à la maison avant une interruption médicale de grossesse… Cela aide à réduire la durée totale du processus à l’hôpital… Je pleure et je ne suis pas capable de m’imaginer l’avaler… C’est si difficile… Je le tiens pendant de longues minutes… Je finis par le mettre de force dans ma gorge, de travers… Toute la journée, je me sens anéantie et coupable envers toi, car j’ai fait le premier pas vers ton départ…
Le 10 décembre, je prends une dernière photo de toi et moi devant le sapin de Noël… Ce même sapin d’ailleurs, je n’arrive plus à le contempler de la même façon aujourd’hui… Papa et moi partons ensuite pour Ste-Justine… La musique de Noël qui joue à la radio me torture. On sait que nous allons te donner la vie et la mort, tout ça, en un instant. Je ne sais pas encore si tu naitras vivant pour t’éteindre doucement sur moi ou si ton cœur sera trop faible pour vivre le si grand chambardement d’un accouchement… Peu importe, je sais que je veux t’accompagner jusqu’à la fin, même si je sais que mon cœur sera totalement chaviré et vide… Nous arrivons finalement dans cette chambre 22, ta première et dernière chambre de bébé… J’installe ta petite mousseline et ton toutou renard dans le petit lit de bébé… Je fais comme si tu allais être un bébé qui nait pour « rester » … Je dépose la photo de ta sœur Florence à côté de mon lit afin que j’aie un point de repère lorsque la douleur dans mon cœur de maman sera trop vive… Je serre contre moi la mousseline imprégné de l’odeur de ta sœur pour me rassurer… Une chance que j’ai apporté cela dans mes valises…
Vers 1h du matin, je ne sens plus mes contractions… Le médecin vérifie et je suis finalement déjà à 10 cm… Je peux donc pousser… J’ai si peur… Je sais que je n’entendrai pas les pleurs que j’ai entendus comme pour ta petite sœur… Je pousse… Tu nais, silencieusement, en une seule poussée à 1h46 am le 11 décembre à 20,1 semaines. Papa, avec tout son courage, coupe ton cordon… Je demande aux infirmières si tu es assez « beau » et si tu ressembles suffisamment à un « vrai bébé » pour être capable te voir… Sans aucune hésitation, elles répondent avec leurs yeux du cœur : « Il est magnifique, votre petit garçon ». Avec dignité, elles t’emmaillotent dans un petit nid d’ange bleu et te mettent une jolie tuque blanche. Je te prends sur moi, sur ma peau… comme un vrai bébé vivant. Je te trouve si beau, papa aussi… Tu es un vrai ange. Ton nez est identique à celui de ta sœur. Ça me fait pleurer. Ta présence me fait du bien… Cela m’apaise. On t’admire… On t’embrasse… On t’aime tellement… Tu es parfait, si parfait. Je me demande encore pourquoi la vie t’a rendu si malade. Peu de temps après ta naissance, grand-maman France vient te voir, te prend et de donne une dose d’amour unique, la seule qu’elle pourra te donner… Elle te fait ses adieux, c’est si prenant… L’aumônier vient faire ton onction des malades et t’aide à t’envoler, là où la souffrance et la maladie n’existent pas. Après un long moment, je tente de te déposer dans ton petit lit pour me reposer un peu… Mais ton absence me fait trop mal. Je te reprends sur moi jusqu’au petit matin pour dormir. Dès que tu es avec moi, je me sens mieux, rassurée et comblée.
Le lendemain, je suis malade… J’ai des nausées et des étourdissements… Les émotions sont trop vives. Le moment de te faire nos adieux arrive… C’est si difficile. Je demande à ce qu’on te mette une petite tuque et une couverture afin que je puisse partir avec ceux que tu as portés. Je ne veux pas que tu aies froid. Papa et moi ne savons pas comment quitter ta chambre, sans toi. On s’imprègne de ton odeur, de tout ce que nous pouvons… Je demande à une infirmière de venir veiller sur toi pour que l’on puisse quitter en paix, le cœur moins coupable…
« J’ai des morceaux de toi dans le cœur, dans l’âme et sur la peau. Quand d’autres ne laissent que le vide, de toi j’ai tout gardé. La mort, c’est plein de vie dedans. » Félix Leclerc
Je t’aime et serai ta maman pour la vie, Roxanne.
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