C’est le 24 août 2016 en matinée, au CHUL de Québec, que j’ai fait la rencontre de la famille de bébé étincelle Gabriel, à titre de photographe bénévole pour la Fondation Portraits d’Étincelles. Une matinée durant laquelle j’ai eu de la difficulté à prendre la décision d’aller les rencontrer.
Lorsque je me suis inscrite comme bénévole pour la Fondation Portraits d’Étincelles, mon but premier était de devenir retoucheuse et ce, même si je suis photographe professionnelle. J’avais du mal à m’imaginer être capable de gérer les émotions d’une mortalité néonatale. Je suis anxieuse et aussi très réceptive aux émotions. Maman de deux enfants en bas âge, dont un garçon d’à peine 3 mois, je ne voulais pas être confrontée à cela. La retouche, c’était assez pour moi.
Un matin comme les autres, avec mon chum et les enfants à la maison, je vois un message de la Fondation. On cherche un photographe pour le CHUL. Étant retoucheuse, j’y porte peu attention. Puis, le téléphone sonne… on ne trouve personne ce matin là. Je suis le dernier espoir de la Fondation afin d’avoir une chance de photographier Bébé Gabriel en vie, les autres photographes étant à plus de deux heures de route ou disponibles que plus tard dans la journée. Bébé Gabriel sera débranché des machines qui le gardent en vie, il s’envolera sous peu. Il faut faire vite!
Est-ce que j’arriverai alors qu’il viendra de rendre l’âme? Est-ce que sa vie cessera devant moi? L’angoisse totale, le mal de coeur, les tremblements, la gorge nouée et les questionnements. Si je n’y vais pas, les parents n’auront pas de souvenirs en photos de qualité de leur fils. De leur bébé espoir conçu après plus d’un an d’essais et de clinique de fertilité. J’ai alors pris mon courage à deux mains, j’ai pensé aux parents et j’ai plongé dans le vide.
L’histoire de Gabriel a débuté en février 2016 par un test de grossesse positif. La famille n’arrivait pas à le croire tellement l’attente avait été longue. Puis, une première échographie montra un beau petit coeur fort et en santé. Les heureux parents étaient loin de se douter de ce qui les attendait aux fils des semaines. Ils savouraient leur bonheur le coeur léger. Un diabète de grossesse fut décelé tôt, mais rien pour paniquer. À la deuxième échographie, ils apprennent que c’est un beau garçon. Ayant déjà une fille, ils sont comblés et s’imaginent avec ce que tout le monde appelle : le fameux «couple». À la fin de cette échographie, un nuage bien noir se pointe à l’horizon. La gynécologue croit à une dilatation de l’intestin. Trisomie? Fibrose kystique? Obstruction des intestins? Le pronostic n’est pas clair, on devra investiguer. Les parents annoncent tout de même le sexe du bébé à leur fille de 7 ans sans lui faire part de leurs inquiétudes. Leurs sentiments sont mélangés, le bonheur entrecroise l’angoisse régulièrement. Le lendemain, un appel du CHUL pour les rencontrer. Étant de Chicoutimi, ils feront la route, car la 24e semaine approche et la possibilité d’avorter est alors plus compliquée passé ce stade. Le verdict tombe après une échographie : bébé a une atrésie de l’intestin.
La situation ne laisse pas beaucoup de temps de réflexion aux parents, puisque Véronique est désormais à 23 semaines et 5 jours. D’ici deux jours, il sera plus difficile d’avorter. Elle doit choisir avec son conjoint s’ils poursuivent ou non la grossesse. On lui parle des risques, mais aussi des possibles opérations qui pourraient faire vivre le bébé. Le couple décide de s’accrocher sur cet espoir et d’espérer un bébé viable. Si les médecins croient qu’il peut s’en sortir, alors les parents vont au combat. Le départ de Québec vers Chicoutimi fut des plus pénibles… Pleurs, rage… Les émotions sont fortes. Rosalie, leur grande fille, est tout aussi décue par la nouvelle, son bébé frère ne va pas bien. Sa rentrée scolaire et son anniversaire sont compromis pour être au chevet de son petit frère. À partir de ce moment, s’enchaînent les suivis et les échographies. À la moindre urgence, ils doivent foncer à Québec.
Le shower passe, les parents achètent même une nouvelle maison pour héberger leur famille grandissante. La chambre de Gabriel est prête, il ne reste qu’à l’attendre. Comme tous les parents, ils pensent que la situation se règlera par l’intervention médicale. Cependant, à l’échographie de presque 32 semaines, bébé Gabriel ne fait plus de mouvements respiratoires. Le médecin s’inquiète, mais le tracé fœtal est normal. Les parents reviennent le lendemain et finalement tout va bien, le stress redescend.
Puis, une fois à la maison, Véronique remarque qu’elle perd du sang. Un signal d’alarme selon elle, elle téléphone d’urgence la maternité. On lui dit de ne pas s’inquiéter, « ça doit être le bouchon muqueux ». Mais Véronique sait que quelque chose ne tourne pas rond. Les heures passent et elle rappelle, on lui dit de se présenter. À 18h00, à l’hôpital de sa région, elle est dilatée à 4 cm et à 90% d’effacement. Pas le temps de descendre à Québec! Bébé Gabriel nait à 23h48. Le liquide est teinté, alors qu’il devrait être clair. Le bébé semble bien à sa naissance, mais il avale un bouillon de trop et tombe en détresse respiratoire. C’est à deux heures du matin que la maman pourra le voir à la pouponnière pour la première fois, sans toutefois pouvoir le prendre.
Le lendemain matin, Gabriel est transféré au CHUL à Québec. Comble de malheur, l’ambulance revient à destination, car l’avion dans lequel Gabriel doit prendre place a un bris mécanique. Gabriel doit donc retourner à la pouponnière. Comme si ce n’était pas assez, la deuxième ambulance qui le transporte à nouveau vers l’avion effectue un dérapage avec le petit à son bord.
Il prendra enfin l’avion qui l’amènera à Québec. Les parents n’en peuvent plus de tout ce stress, à 12 heures de vie seulement. L’impression que le karma est contre eux.
À Québec, le chirurgien semble positif. Il tente une opération, mais le résultat semble insuffisant. Puis, d’autres nouvelles arrivent et elles deviennent de moins en moins bonnes. À 16h00, le verdict tombe… Gabriel n’a pas assez d’intestins pour survivre. Aucune opération n’est possible, le couple s’effondre. Un réel cauchemar. Véronique ne parle plus, ne réagit plus et n’entend plus les gens lui parler. Elle ne réalise pas, ou en fait, réalise trop bien ce qui se passe. Son bébé, son petit garçon tant attendu, va mourir.
L’infirmière laisse Véronique prendre son bébé pour la toute première fois même si celui-ci a plusieurs tubes qui le rattachent à la machine qui le garde en vie. Au diable le protocole… ce n’est pas humain de laisser une maman comme ça. Véronique est apaisée de tenir son fils au creux de ses bras pour la première fois depuis sa naissance. Elle profite longuement de cet instant de sérénité. Puis, la famille paniquée arrive. Personne ne sait comment digérer la nouvelle, alors ils décident de rester tous ensemble afin de passer la soirée avec bébé Gabriel. Une magnifique soirée pleine d’amour. Ils se couchent tous l’esprit en paix.
À 7h00 du matin, ils reçoivent un appel de l’hôpital alors qu’ils logent avec Rosalie dans une chambre du manoir Ronald McDonald. Gabriel ne va pas bien. Il cesse de respirer par moment. La famille se réunit à l’hôpital afin de baptiser Gabriel.
C’est vers 9h00 qu’on décide de débrancher Gabriel des machines l’aidant à vivre. S’en suivent des moments collés contre lui pour l’accompagner jusqu’à son dernier souffle.
Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, Gabriel était dans cette chambre familiale entouré de l’amour de sa maman, de son papa et de sa grande soeur Rosalie. Ses grands-parents sont aussi arrivés alors que je quittais. J’ai ressorti mon matériel afin de les photographier eux aussi. À ce moment, son petit coeur battait toujours.
Ce qui m’a le plus étonnée, c’est qu’il ne ressemblait pas à l’image que je m’étais fait d’un bébé qui allait s’envoler.
Gabriel… c’était un magnifique bébé avec une foule de cheveux et des petits traits parfaits.
À la suite de mon départ, la famille est restée près de leur petit amour. La grande soeur ne voulait pas partir… si jamais son frère arrêtait de respirer. En après-midi, le souffle de Gabriel est devenu lourd et de plus en plus ardu. Sa maman le sentait lentement partir, calmement, sans douleur. C’est finalement dans les bras de sa grand-maman qu’il a soufflé son dernier souffle en après-midi. Je vous laisse ensuite deviner le désespoir de sa famille.
Gabriel, où que tu sois, j’espère que tu es bien. Malgré ta si petite taille, tu auras marqué tes proches à tout jamais. Je te promets d’être de ceux qui ne t’oublieront jamais et qui sauront que tu es passé dire un coucou à la vie. Veille sur ta maman, ton papa et ta grande soeur, ainsi que tous les autres qui ont versé des larmes pour toi… Et tu sais, ils sont nombreux ceux-là.
Repose en paix petit amour.
Texte écrit conjointement par maman Véronique et Sarah Tailleur, photographe.
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